PIERRE RABHI :
Il ne faut pas s’accrocher aux alternatives en se disant qu’elles vont changer la société.
La société changera quand la morale et l’éthique investiront notre réflexion.
Chacun doit travailler en profondeur pour parvenir à un certain niveau de responsabilité
et de conscience et surtout à cette dimension sacrée
qui nous fait regarder la vie comme un don magnifique à préserver.
Il s’agit d’un état d’une nature simple :
J’appartiens au mystère de la vie et rien ne me sépare de rien.
Je suis relié, conscient et heureux de l’être.
C’est là que se pose la question fondamentale : qu’est-ce que vivre ?
Nous avons choisi la frénésie comme mode d’existence
et nous inventons des machines pour nous la rendre supportable.
Le temps-argent, le temps-production, le temps sportif
où l’on est prêt à faire exploser son cœur et ses poumons pour un centième de seconde…
tout cela est bien étrange.
Tandis que nous nous battons avec le temps qui passe,
celui qu’il faut gagner, nos véhicules, nos avions, nos ordinateurs nous font oublier
que ce n’est pas le temps qui passe mais nous qui passons.
Nos cadences cardiaques et respiratoires devraient nous rappeler à chaque seconde
que nous sommes réglés sur le rythme de l’univers.
L’intelligence collective existe-t-elle vraiment ?
Je l’ignore mais je tiens pour ma part à me relier
sur ce qui me parait moins déterminé par la subjectivité et la peur,
à savoir l’intelligence universelle.
Cette intelligence qui ne semble pas chargée des tourments de l’humanité,
cette intelligence qui régit à la fois le macrocosme et le microcosme
et que je pressens dans la moindre petite graine de plante,
comme dans les grands processus et manifestations de la vie.
Face à l’immensité de ce mystère, j’ai tendance à croire que notre raison d’être est l’enchantement.
La finalité humaine n’est pas de produire pour consommer,
de consommer pour produire ou de tourner
comme le rouage d’une machine infernale jusqu’à l’usure totale.
C’est pourtant à cela que nous réduit cette stupide civilisation
où l’argent prime sur tout mais ne peut offrir que le plaisir.
Des milliards d’euros sont impuissants à nous donner la joie,
ce bien immatériel que nous recherchons tous, consciemment ou non,
car il représente le bien suprême, à savoir la pleine satisfaction d’exister.
Si nous arrivions à cet enchantement,
nous créerions une symphonie et une vibration générales.
Croyants ou non, bouddhistes, chrétiens, musulmans, juifs et autres,
nous y trouverions tous notre compte
et nous aurions aboli les clivages pour l’unité suprême
à laquelle l’intelligence nous invite.
Prétendre que l’on génère l’enchantement serait vaniteux.
En revanche, il faut se mettre dans une attitude de réceptivité,
recevoir les dons et les beautés de la vie avec humilité, gratitude et jubilation.
Ne serait-ce pas là la plénitude de la vie ?
Agriculteur, écrivain et penseur français d’origine algérienne, Pierre Rabhi est un des pionniers de l’agriculture biologique et l’inventeur du concept « Oasis en tous lieux ».
Il d éfend un mode de société plus respectueux des hommes et de la terre et soutient le développement de pratiques agricoles accessibles à tous et notamment aux plus démunis, tout en préservant les patrimoines nourriciers.
Depuis 1981, il transmet son savoir-faire dans les pays arides d’Afrique, en France et en Europe, cherchant à redonner leur autonomie alimentaire aux populations. Il est aujourd’hui reconnu expert international pour la sécurité alimentaire et a participé à l’élaboration de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification. Il est l’initiateur du Mouvement pour la Terre et l’Humanisme. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Paroles de Terre, du Sahara aux Cévennes, Conscience et Environnement ou Graines de Possibles, co-signé avec Nicolas Hulot.